/ Agir
« L’origine du terme provient de la juxtaposition des termes ban (proclamation officielle d’un ordre, d’une interdiction) et lieue (c’était le territoire d’une lieue autour d’une ville sur lequel s’étendait le ban. La banlieue a donc avant tout une définition administrative : elle est constituée de commune autonomes mais qui se sont urbanisées sous l’influence d’une ville centre. Mais cette définition administrative correspond parfois mal à la réalité : une ville peut avoir étendu son territoire et annexé tout ou partie de ses banlieues. […]
Car, au-delà des découpages administratifs, ce qui caractérise la banlieue est sa dépendance de la ville. Dépendance historique tout d’abord, les municipalités de banlieue ayant accueilli des activités et des logements qui débordaient de la ville, n’y trouvaient pas suffisamment d’espace ou recherchaient des terrains moins couteux. Dépendance fonctionnelle ensuite : l’urbanisation des communes de banlieue ne crée pas spontanément un milieu urbain complet : la gamme des équipements, des services y est incomplète, parfois inexistante. De même, les activités, dans les communes qui en ont accueilli, sont très peu diversifiées, ce qui oblige une large fraction des habitants à aller travailler ailleurs (migrations alternantes), le plus souvent dans les villes elle-même, parfois dans d’autres communes de banlieue.
La banlieue est un fait récent, contemporain ou postérieur à la révolution industrielle.
Certes, les villes, préindustrielles connaissaient des excroissances: pour des raisons administratives ou fonctionnelles, des activités, des habitants venus de la campagne se sont installés dans les faubourgs. Mais ceux-ci étaient ponctuels, localisés près des portes de la ville, de l'accès à un pont, ou régulièrement espacés sur les grandes routes.
La banlieue, à travers les diverses formes qu’elle a prises successivement, représente une occupation systématique, presque continue, de l'espace. La première étape de formation de la banlieue a été la banlieue industrielle. Celle-ci occupe généralement deux types de localisations qu'on retrouve l'un et l'autre dans le Cas de Paris. D'une part, des localisations tout autour de la ville, formant une couronne d'usines et d'habitat ouvrier : cette première forme résulte d'un besoin d'espace bon marché et constitue un véritable débordement de la ville. D'autre part, des implantations fonctionnelles, guidées par les besoins des industries, en particulier sur les étendues planes proches des voies ferrées et des voies d'eau (rivières navigables et canaux). Ainsi, autour de Paris, s'est constituée à la fin du XIX" siècle et avant la première guerre mondiale, une couronne quasi continue (sauf près des bois de Boulogne et de Vincennes) d'usines et de logements populaires, qui conservera ce tissu urbain caractéristique jusqu'aux grandes opérations de rénovation des années 1960. Cette couronne est complétée par deux axes principaux d'industrialisation, le long de la vallée de la Seine, à l'amont et à l'aval de Paris, les méandres du fleuve et la topographie très plane favorisant l'émergence au nord-ouest de la capitale d'un milieu industriel dense ct dynamique. Cette première étape correspond à des dates différentes selon les cas, en fonction de la précocité du développement industriel: milieu du XIX" siècle à Londres, fin du siècle à Paris, mais seulement après la deuxième guerre mondiale à Beyrouth par exemple.
La deuxième étape de formation de la banlieue correspond le plus souvent à l’extension des quartiers d’habitat. Les formes en différent selon les traditions, les modes de financement du logement, la disponibilité d’espaces. Dans le cas de la France, et tout particulièrement de Paris, le blocage des loyers décidé lors de la première guerre mondiale a découragé les investisseurs traditionnels de construire des immeubles locatifs. La guerre et la reprise de la croissance urbaine ayant créé une grave pénurie, les familles à revenus modestes n’eurent d’autre ressource que d’acheter à des intermédiaires – les lotisseurs – des parcelles de terrain pour construire des pavillons sommaires. Les lotisseurs achetaient des terrains agricoles pour les communes rurales autour des villes et le plus souvent sans réaliser les infrastructures nécessaires, les divisaient en lots pour les revendre à des particuliers. Les communes concernées étaient incapables de faire face au coût des équipements nécessaires. Les « mal lotis » devinrent vite un problème politique et une loi spéciale (Loi Sarrault) fut votée en 1928 pour prévoir la réalisation des viabilités des lotissements existants. Les pavillons de cette époque occupaient de vastes superficies et les zones de lotissements de l’entre-deux-guerres constituent une seconde couronne de banlieue, beaucoup plus étendue et souvent très éloignée du centre (jusqu’à 30km dans la vallée de l’Orge par exemple), à faible densité, dépendant des chemins de fer (et de la bicyclette pour les trajets terminaux). Les pouvoirs publics lancèrent en 1928 (loi Loucheur) le premier vaste programme de logements locatifs sociaux (Habitations bon marché) qui ne fut que partiellement réalisé […].
Dans d’autres pays que la France, l’urbanisation de la banlieue a pu prendre des formes moins désordonnées, grâce à une intervention plus rapide et plus importante des collectivités publiques, mais dans tous les cas se sont constitués de vastes quartiers d’habitat des classes moyennes, largement dépourvus des activités et de équipements nécessaires à une vie urbaine complètes
La fin de la deuxième guerre mondiale, la reprise de la natalité et du mouvement de la population vers les villes devaient créer, en France en particulier, une nouvelle crise du logement. Les pouvoirs publics y firent face par plusieurs mesures. D’une part, la loi de 1948 rendit la liberté des loyers aux logements construits après cette date (les loyers de logements anciens, existants à cette date, restant contrôlés, mais devant peu à peu être libérés, ce qui se produisit dans les petites villes, mais guère dans les plus grandes et dans l’agglomération de Paris). D’autre part, l’État encouragea la constitution d’un vaste réseau de sociétés de construction de logements locatifs aidés (Habitations à loyer modéré) liées aux collectivités locales, aux entreprises publiques ou de statut privé (offices publics et sociétés de HLM). Surtout, il intervient massivement dans le financement de la construction locative par des prêts à taux très avantageux pour la construction des HLM, par des subventions (primes) et par une participation obligatoire des constructeurs à la construction (alors fixée à 1% des salaires). Ces mesures permirent la reprise de la construction locative (aidée et non aidée).
Les organismes constructeurs mobilisèrent systématiquement les terrains laissés vacants à l’époque des lotissements et y édifièrent des « grands ensembles » d’appartements à forte densité. Si ces grands ensembles contribuèrent à réduire la crise du logement, ils étaient dépourvus des équipements d’accompagnement et des activités qui auraient donné à leurs habitants une chance de travailler sur place.
Après le décret du 31 décembre 1958, les zones à urbaniser par priorité (SUP) tentèrent de guider les constructeurs vers des zones aménagées pour y concentrer l’effort de création d’activités et d’équipements publics. Dans tous les cas, grands ensembles, ZUP, mais aussi « résidences » privés représentent une nouvelle forme de banlieue : très dense mais, de ce fait, occupant peu d’espace et souvent située plus près près du centre que les lotissements qui les avaient précédés.
Si en France, durant toute cette période (années 1950 et 1960), la construction des maisons individuelles a été limitée, dans les pays anglo-saxons, elle a été la forme dominante, voire exclusive, du développement urbain. Parfois sous forme organisée, le plus souvent sans planification se sont ainsi constituées de vastes zones d’habitat individuel prédominant et qui ont pu s’implanter d’autant plus loin du centre que la banalisation de l’usage de l’automobile permettait de s’affranchir de la proximité des stations des transports en commun. […] Les classes aisées préfèrent habiter dans les quartiers les plus récents, donc les plus périphériques. […] Les grands ensembles ont d’abord accueilli des familles (avec enfants) à revenus moyens mais, peu à peu, ceux-ci se sont orientés vers un logement en accession à la propriété et beaucoup de grands ensembles n’ont plus été habités que par les ménages les plus pauvres et par les immigrés, créant de graves problèmes sociaux.
/ Banlieue
Une nouvelle étape de développement des banlieues a été, en France, atteinte dans les années 1970 et 1980. D’une part, les villes nouvelles ont tenté autour de Paris et de quelques grandes villes (Lyon, Marseille, Lille, Rouen), d’offrir un modèle urbain aussi complet que possible (emplois, équipements, centre urbain). D’autre part, le goût majoritaire pour la maison individuelle en accession à la propriété, favorisé par une réorientation des aides de l’État, a conduit à des formes de développement de maisons neuves autour des villages dans un rayon qui atteint 50km au moins autour de Paris : on a parlé de périurbanisation, voire de rurbanisation, pour qualifier cette urbanisation de l’espace rural. […]
Ces processus successifs de formation de la banlieue conduisent à affirmer qu’il n’y a pas une banlieue mais des banlieues. San prétendre établir une typologie de celles-ci, on peut indiquer :
- Les banlieues industrielles, datant surtout de la période d’industrialisation du XIX siècle (sauf dans les pays émergeants). Mais, parmi elle, il convient de distinguer des secteurs où l’industrie est l’utilisation quasi exclusive de l’espace et d’autres où l’industrie est étroitement mêlée à l’habitat ouvrier. Encore ces quartiers ont-ils souvent évolué au cours de la dernière génération avec le desserrement de nombreuses industries vers la grande banlieue et la rénovation des quartiers jugés insalubres. Les banlieues industrielles traditionnelles rechercheraient les terrains plats, desservis par chemin de fer et si possible par voie d’eau. Les nouvelles zones industrielles, spontanées ou aménagées, recherchent surtout un bon accès routier, un milieu économique actif, la proximité, d’une main-d’œuvre qualifiée.
- Les banlieues résidentielles, en général plus récentes. Mais parmi elles, il convient de distinguer :
- Selon le type de construction dominant : immeubles collectifs, créant un tissu urbain dense, quartiers de maisons individuelles, parfois quartiers mixtes, soit du fait d’une planification volontaire (banlieues d’Amsterdam), soit par densification progressive d’un ancien quartier d’habitat individuel (moyenne banlieue parisiennes) ;
- Selon les classes sociales les plus représentées : quartiers populaires, quartiers aisés (improprement qualifiés de résidentiels), quartiers intermédiaires ou à population plus diversifiée ;
- Selon le mode d’intégration dans l’agglomération : desserte par les réseaux de transport, diversité des équipements, présence de lieux d’emplois à proximité, accès commode à un centre de commerces et de services, etc.
- Selon la distance au centre : on parle de banlieue proche, moyenne ou grande, sans que ces distinctions soient précisées de façon rigoureuse. On peut cependant définir, à partir des types d’habitat, de l’époque de première construction et d’indicateurs statistiques (tels la proportion des personnes actives travaillant dans la ville-centre), des couronnes successives.
[…]
Le terme de banlieue est aujourd’hui souvent associé aux difficultés rencontrées dans certains quartiers, en France et seulement dans certains des grands ensembles et des ZUP des trente glorieuses. Il convient en fait de distinguer les problèmes généraux des banlieues de ces difficultés particulières. Parmi les premières, on doit relever le sous-équipement, la desserte insuffisante, l’absence d’unité du tissu urbain et d’identité sociale.
- Les sous-équipements des banlieues a résulté des conditions de leur création et en tout cas de leur dépendance par nature de la ville mère. Ce sous équipement a été presque absolu dans les banlieues des villes françaises, d’une part à l’époque des lotissements défectueux (l’entre-deux-guerres) et d’autre part à celle des grands ensembles (trente glorieuses). Un important effort des pouvoirs publics entre 1960 et 1975 surtout, a permis de le réduire considérablement.
- Les ménages redisant en banlieue des villes françaises, plus pauvres en moyenne, ont longtemps été moins motorisés que la moyenne. C’est aujourd’hui l’inverse, mais cet équipement en automobiles traduit une desserte souvent médiocre, surtout dans les banlieues périphériques, par les transports en commun, alors même que l’éloignement des lieux de travail, des écoles, des commerces, des équipements et des services oblige leurs habitants à se déplacer davantage. La dépendance du centre-ville a été remplacée par une dépendance à l’égard de l’automobile.
- Le tissu urbain des banlieues, fruit de la juxtaposition des étapes successives de la croissance urbaine, manque d’unité : les quartiers construits aux différentes époques, selon des modèles différents, sont souvent étroitement imbriqués dans l’espace. C’est une des raisons pour lesquelles les habitants des banlieues ont le plus souvent de la peine à s’identifier clairement à un espace, et en particulier à une commune, et le font essentiellement à travers le quartier.
Ces handicaps des banlieues peuvent, dans certains cas, engendrer un véritable sentiment d’exclusion. »
Les banlieues sont fréquemment stigmatisées, en particulier dans un certain nombre de grands ensembles et de ZUP. Les causes de l’exclusion sont multiples :
- Concentration de familles en difficulté (chômage, échec scolaire, fraction importante de population d’origines ou d’appartenances étrangères
- Monotonie des formes urbaines
- Image négative dégagées par la presse
- Mauvaise gestion ou prévisions des offices de gestions
- Négligence en termes de composition urbaine
Des conséquences sont les suites logiques de ces causes : dégradation du cadre bâti (manque d’entretien, vandalisme), violences, commerces illégales, sentiment d’insécurité (renforcé par un racisme sensible, et des jeunes isolés qui se regroupent en groupe), etc.
« De nombreuses tentatives d’amélioration des banlieues en difficulté ont déjà été entreprises. Pour s’en tenir au cas des banlieues françaises, on notera que celles-ci ont cherché à porter sur l’amélioration du cadre physique comme sur la réhabilitation socio-économique des quartiers, puis on eut tendance à associer les deux voies dans le politique globale qu’on qualifie improprement de « politique de la ville » alors qu’il s’agit d’une politique des banlieues. » Depuis 1977, 14 plans banlieues ont été lancés.
« La France est marquée par la ségrégation territoriale. Les cités sont devenues «les prisons sociales» de la République : leurs habitants subissent une relégation dont ils ne peuvent plus, statistiquement, s’échapper. Les Français issus de la diversité s’y trouvent piégés. Au même titre que beaucoup de familles modestes. Mais plus encore, du fait d’une politique de logements sociaux qui, depuis un demi-siècle, y entasse les primo-arrivants. »
OLIVIER FERRAND président de Terra Nova